La saqueboute, poussez-tirez !

L’être humain fut capable, dès son émergence sur Terre, d’associer aux sons, à l’acoustique donc, une morphologie. Nul doute que la nature et la forme des débris osseux, des coquillages et des cornes d’animal aient pu conditionner les divers types d’instruments à vent qui aujourd’hui nous ravissent. Ainsi, aux côtés des os qui prêtent leur structure aux instruments de type flûtes ou sifflets à cavité (perce) cylindrique, la corne d’animal offre, elle, une perce conique, devenant trompe, l’ancêtre des « cuivres que sont le cor, le trombone ou bien la trompette, pour ne nommer qu’eux au sein de cette grande famille instrumentale. Et à propos du trombone, avant de l’appeler ainsi, il avait, dans la France des XIVe, XVe et XVIe siècle, pris pour nom la saqueboute, d’abord instrument de facture droite naturelle, puis pourvue d’une coulisse.

La saqueboute, un trombone à coulisse

Le mot saqueboute semble sonner étrangement à nos oreilles contemporaines ; pourtant, en cette fin de Moyen Âge, il illustrait ce geste physique étonnant du musicien qui consistait à tirer puis à pousser (sacquer/bouter, respectivement tirer/pousser en vieux français) une coulisse afin d’émettre une mélodie. Cet instrument fut uniquement baptisé ainsi en France en raison de sa forte ressemblance avec un outil d’assaut que lançaient les soldats afin de désarçonner l’ennemi ! C’est qu’au fil du temps, ce long tube droit de cuivre doté d’une embouchure se recourbait progressivement en forme de « S » pour former deux parties : l’une mobile présentant une perce cylindrique, la coulisse s’emboîtant et coulissant sur l’autre partie fixe, façonnée d’une perce conique, dotée d’un pavillon.

Ce n’est qu’au XVIIe siècle qu’il prit définitivement le nom de trombone en France, en empruntant le mot italien Tromba (trompette) auxquels les transalpins ajoutèrent dès le Moyen Âge le suffixe « one » (grande) pour le dénommer désormais trombone, ou grande trompette, ce que la saqueboute était dès l’origine.

Expression guerrière, comme de grande douceur


Particulièrement sollicitée pour jouer, comme les autres cuivres de l’époque, du moins jusqu’au XIIème siècle, les fanfares militaires, la saqueboute s’immisce dans la polyphonie naissante.

Avec l’invention de la coulisse, qui ne semble pas remonter au-delà de la seconde moitié du XVe siècle, la sonorité — avec quelques autres améliorations techniques — gagne en timbre, en douceur (legato) et progressivement en virtuosité. La saqueboute est alors l’instrument privilégié de la polyphonie sacrée et profane : on lui confie souvent la « teneur », motif musical en longues notes, — la partie supérieure demeurant l’apanage de la voix — servant de base à l’organum (genre musical sacré et profane à plusieurs voix au Moyen-âge), au motet primitif et à la basse-danse (les pas dansés restent en contact avec le sol, à l’exemple de la pavane). C’est surtout au tournant des XVIe et XVIIe siècle que la saqueboute, désormais nommée trombone connut son heure de gloire, en Italie, notamment à Venise, en Allemagne et en Espagne surtout, un peu moins en Angleterre et en France. Le trombone à coulisse, l’instrument grave des cuivres qu’il a toujours été, offre encore de nos jours puissance et majesté au sein de l’orchestre.

Les plus curieux pourront découvrir cet instrument d’époque au festival des Riches Heures Musicales, le 5 août prochain à la Rotonde de Simiane, avec le jeune ensemble de musique Tumbleweeds (voir programmation 2025).

Etienne COLLOMB