La grande famille des luths, un peu d’histoire

Comme pour nombre d’objets construits de la main des humains, l’origine historique des instruments à cordes pincées reste discutée. Il est probable qu’à l’avènement des populations sédentaires, voici plus de 12000 ans, les premiers instruments de musique dotés d’une caisse de résonnance à fond plus ou moins bombé ou plat, d’un manche et de quelques cordes voient progressivement le jour. Il faudra cependant attendre le 2ème millénaire avant l’ère chrétienne pour trouver une trace visuelle mais certaine de la « famille » des luths. Les musicologues s’accordent à localiser cette famille probablement du côté de l’Assyrie ou de l’Egypte.


Le luth, contemporain des autres instruments à cordes pincées

A cette époque, deux formes de luth coexistent : le luth à manche long, utilisé par les égyptiens, et celui à manche court, le plus répandu dans l’ancien monde, jusqu’en Chine et Java. Ce dernier peut être considéré comme l’ancêtre véritable du luth tel que nous le connaissons aujourd’hui. N’oublions pas que cette famille évolue de concert avec les autres instruments à cordes qui foisonnent au même moment dans ces temps reculés, que sont les harpes, psaltérions, vielles et guitares (fond plat et éclisses droites). La première représentation européenne du luth remonte au 10ème siècle, un ivoire sculpté : sa caisse de résonance est alors demi-sphérique ; au 15ème siècle, elle s’allonge pour prendre la forme d’une demi-poire (piriforme).

La coque est désormais composée d’éclisses de bois ou d’ivoire refermée par une partie plate : la table d’harmonie percée d’une rosace. Fait caractéristique : le cheviller (pièce de bois portant les chevilles) est rejeté vers l’arrière, les deux raisons principales étant de résister à la fois à la tension des cordes et assurer le bon équilibre de l’instrument en position de jeu.

Luth, Anonyme, Europe © Cité de la musique – Photo : Albert Giordan

Le luth, l’instrument roi de la Renaissance,
Aux époques médiévale, renaissance et baroque, le luth apparait comme l’instrument roi de la musique européenne. Le mot luth provient de l’arabe al’ud, qui signifie bois ; son succès est tel que, par extension, les termes de luthier et lutherie désignent respectivement encore à ce jour tout facteur d’instruments quel qu’en soit le type, et l’ensemble du secteur artisanal et industriel qui les fabrique. L’importance du rôle joué par le luth durant toute cette période fut essentiel dans la formation et le développement de la musique instrumentale. Il évoluera progressivement vers plus de puissance sonore : doté de 4 cordes simples au haut Moyen-âge, accompagnant la monodie, il sera monté à 5 choeurs (cordes doublées à l’unisson) dès le 14ème siècle. Apparait ensuite le luth à 6 choeurs (5 choeurs graves et la chanterelle, corde simple la plus aigüe) dont l’usage déclinera après 1560 environ. L’accordage se stabilise progressivement : il est composé de 4 quartes « justes » et d’une tierce majeure placée au milieu. Ce luth muni désormais de frettes (petites barrettes placées à travers le manche qui déterminent la hauteur de la note à jouer) sera alors l’instrument privilégié de la Renaissance, répondant aux évolutions stylistiques de l’époque : à savoir l’écriture musicale de plus en plus polyphonique des chansons (musique profane), des motets et des messes (musique sacrée) en vogue à cette époque.

La famille s’élargit,
Des perfectionnements techniques de cet instrument accompagneront sans relâche les compositeurs européens, à la recherche de nouvelles tonalités et harmonies : les luthistes, dans le dernier tiers du 16ème siècle, éprouvent alors le besoin d’avoir sur leur instrument des cordes qui descendent vers le grave afin d’accompagner les chanteurs. Ce sont d’abord les archiluths : ces derniers conservent le montage traditionnel (six rangs de cordes) du luth renaissance, auquel on ajoute un nombre variable de cordes graves hors manche. Puis apparaissent, en Italie, le théorbe : les cordes graves (6 ou 8 cordes- et graves hors manche) sont plus longues que les cordes aigües (8 rangs de cordes) ce qui nécessite un deuxième cheviller. Enfin le chitarrone, ou théorbe romain, dont l’originalité réside dans la longueur record de ses basses, qui est d’environ 1,20 mètre !

Chitarrones,
De gauche à droite – Matteo I Seelos, vers 1640, Venise (Cité de la musique de Paris, photo : Jean-Marc Anglès) ; – Matteo I Seelos, vers 1640, Venise (idem) ; – Matheus Buchenberg, 1604, Venise (Idem).

Au début du 18ème siècle, l’usage du luth se perd. Sans doute, les amateurs se lassaient des difficultés de son emploi, notamment les fastidieux accordages à ajuster en fonction de nouvelles tonalités demandées pour soutenir le chant. Excepté le théorbe, qui assurait alors la basse continue (ligne de basses annotées de chiffres pour former des accords), l’engouement des musiciens se détourne du luth au profit du clavecin et de la basse de viole, plus commodes à pratiquer.

La faculté de lire les tablatures (méthode de lecture directe des notes de musique) devenant plus rare, l’immense corpus musical dédié au luth devenait alors illisible.

Une éclipse de plus de deux siècles,
En Europe, le renouveau du luth se confirme dès les années 70, à la faveur d’une génération de musicien(ne)s et de musicologues capables de se pencher sur des documents d’époque oubliés depuis deux siècles. On (re)découvre ainsi une « autre » façon de faire sonner l’instrument, de chanter…de fabriquer des instruments, ces derniers certes moins puissants mais plus riches en harmoniques. Aujourd’hui, le luth réoccupe une place de choix dans le répertoire des musiques dites anciennes.

Etienne COLLOMB